Ce n’est pas tous les jours que nous pouvons nous targuer d’accueillir dans nos colonnes une grande dame de la chanson, et qui plus est une amie de Michael Jackson. Le grand public européen ne la connaît, hélas, pas assez. Mais les fans avertis du Roi de la Pop n’ignorent pas son nom. Carole Bayer Sager a fait de régulières apparitions dans la carrière de Michael Jackson. Elle nous a fait l’immense honneur de répondre à nos questions lors d’un entretien sur Skype.
MJB. Votre première collaboration avec Michael Jackson était bien sur It’s The Falling In Love ?
Carole Bayer Sager (CBS). Oui.
MJB. Comment vous avez été amenée à travailler avec Michael Jackson ?
CBS. J’ai rencontré Michael grâce à un ami commun, David Guest, qui travaillait avec mon mari de l’époque, Burt Bacharach. David a, par la suite, épousé Liza Minelli et je ne sais pas ce qu’il devient aujourd’hui. Il avait le don de mettre en gens en relation. C’est lui qui m’a présentée à Michael. Je ne me rappelle plus exactement où on s’est vu pour la première fois, mais j’avais écrit It’s The Falling in Love pour ma maison de disques et je crois que Michael et Quincy Jones l’avaient entendue et l’avaient aimée. J’ai été très surprise d’apprendre qu’ils allaient la mettre sur l’album Off The Wall. J’étais vraiment très heureuse.
MJB. Et cela ne s’est pas arrêté là…
CBS. C’est vrai, par la suite, on a travaillé ensemble sur Just Friends. Il s’agit d’un duo (à écouter ici, ndlr). Michael était très impliqué dans la production de ce morceau. C’était un très cher ami, il était attendrissant et très gentil. Pour lui, tout tournait autour de la musique. Il faisait de la musique tout le temps.
MJB. Avez-vous souvent travaillé avec lui durant cette période bénie ?
CBS. On n’a pas travaillé ensemble énormément. Quelques fois seulement car il disparaissait et réapparaissait tout le temps… mais nous sommes restés de bons amis au fil des ans. On restait en contact avec Burt, avec David Foster, etc. Et bien sûr, on était aussi très amis avec Elizabeth Taylor.
MJB. Comment se passait la collaboration en studio avec Michael ?
CBS. Il était extrêmement professionnel : à cette époque, il savait ce qu’il voulait et comment y arriver. Plus tard, je ne sais pas s’il pouvait encore faire tout ce qu’il voulait mais à cette époque, c’était très facile pour lui de prendre les rennes et de dire ce qu’il pensait.
MJB. Certains sites Web spécialisés vous attribuent une collaboration sur un titre intitulé I Go To RIO…
CBS. Cela ne me dit rien…
MJB. Il se dit aussi que vous auriez collaboré sur une chanson qui s’appelle Stop The War. Pouvez-vous nous en dire plus ?
CBS. Ouhhh… Je crois que cette chanson est en fait We’ve Had Enough. On a écrit cette chanson avec Rodney Jerkins à l’époque d’Invincible, l’album qui marque ma dernière collaboration professionnelle avec Michael. D’ailleurs, je ne sais pas si vous le savez mais il m’a dédié cet album. Je crois qu’il l’a fait par reconnaissance pour lui avoir présenté Rodney Jerkins.
MJB. A l’origine, ce morceau s’appelait donc Stop The War mais il a ensuite été retitré en We’ve Had Enough, c’est bien cela ? Avez-vous travaillé sur cette chanson à deux périodes différentes ?
CBS. Non, on avait prévu de mettre ce titre sur l’album Invincible. Quand on a écrit le morceau, Michael voulait l’inclure dans son album, puis il ne l’avait pas retenue. Je n’étais pas présente quand il a enregistré sa voix sur le morceau. Mais, vous le savez, Michael s’est toujours beaucoup intéressé à ce qui se passait dans le monde, et il s’impliquait pour faire changer les choses. La chanson parle de cela.
MJB. Comment vous a-t-il demandé de travailler avec lui sur l’album Invincible ?
CBS. Il m’a parlé de l’album et je lui ai proposé de rencontrer quelqu’un que je trouvais très talentueux, c’était Rodney Jerkins. Il ne voulait pas le rencontrer tout seul, alors je lui ai dit : « OK, je serai présente. » Michael voulait que Rodney apporte du matériel pour entendre ce dont il était capable. La rencontre a eu lieu dans le petit studio de ma maison et Rodney avait apporté beaucoup de matériel, du bon son. Michael lui a dit : « Rodney, ça doit être plus intense. » Je pense que les sons étaient bons mais que Michael voulait toujours pousser chacun plus loin pour en obtenir le meilleur.
MJB. Pensez-vous que Michael se soit perfectionné entre Just Friends et l’album Invincible ?
CBS. Absolument. Il était devenu meilleur, il s’était perfectionné dans l’écriture des chansons.
MJB. De quelle façon ?
CBS. Et bien, à cette époque (NDLR : Off The Wall), il n’avait pas encore réalisé Thriller, probablement son meilleur album. Après ça, il a acquis plus de confiance en lui. A l’époque de It’s The Falling In Love, il avait beaucoup d’inspiration que, selon moi, il a un peu perdu des années plus tard à cause des choses horribles qui lui sont arrivées. Il était toujours brillant et un chanteur incroyable mais je crois que ce qui se passait avec sa maison de disques et ses problèmes personnels avaient affecté sa créativité. Il était un très bon père pour ses enfants, il les amenait au studio avec lui, il les nourrissait. Il s’en occupait très bien, il était un père merveilleux mais je pense qu’il était triste, il restait toujours très silencieux et était très timide quand il fallait rencontrer du monde. Je crois que Michael était un génie incompris. Il se souciait beaucoup du sort des enfants. Comme tout le monde, je suis au courant des affaires judiciaires, mais je ne crois absolument pas qu’il ait pu faire du mal à des enfants.
MJB. Vous avez dit qu’il était un très bon père, et c’est vrai. A l’époque où vous travailliez en studio sur l’album Invincible, vous avez travaillé sur une chanson qui s’appelle You Are My Life. Pouvez-vous nous donner plus d’informations sur cette chanson, certains pensent que c’est une chanson d’amour pour les enfants, d’autres pour une femme ?
CBS. Il s’agit de tous les amours, pour les femmes, pour les enfants, pour Dieu. C’est une chanson qui parle de l’amour avec un grand A. C’est marrant parce que Michael a passé beaucoup de temps à enregistrer les chansons de cet album et beaucoup d’argent a été dépensé pour le faire. Mais cette chanson-là ne nous a pris que trois jours. On l’a écrite puis on l’a enregistrée. Michael a mis beaucoup de temps pour faire cet album, il n’en avait pas enregistré depuis quelques années et je crois qu’il était un petit peu perdu, il n’était pas au mieux de sa forme. Il avait beaucoup de problèmes, les procès, les gens qui l’entouraient.
MJB. A cette époque, vous avez également travaillé sur un morceau qui s’appelle I Have This Dream.
CBS. Oui, c’est une chanson que David Foster et moi avons écrite. Michael n’a jamais terminé l’enregistrement des voix. Plus tard, on l’a mise sur Internet dans le cadre d’un concours. On n’en possède malheureusement que le refrain. On devait la sortir mais ce n’est plus d’actualité… Pourtant, on ne sait jamais, peut-être qu’un jour quelqu’un aura l’idée de la sortir officiellement.
MJB. On a aussi entendu dire que la chanson pouvait avoir un titre différent : From The Bottom Of My Heart ? Est-ce vrai ou s’agit-il d’une autre chanson ?
CBS. Pas que je sache. Je ne sais pas d’où vous sortez toutes ces choses mais je ne connais pas ce titre. (rires)
MJB. Pendant les années entre Just Friends et We’ve Had Enough, êtes-vous restés en contact Michael et vous ?
CBS. Non. On était en contact et du jour au lendemain, c’était fini. Beaucoup de choses lui sont arrivées et il a quitté le pays pendant plusieurs années. Parfois, il arrivait qu’il m’appelle. J’étais toujours là pour l’écouter. C’étaient à peu près les seuls contacts qu’on avait. On s’est croisé à certaines occasions comme lors d’une fête d’anniversaire pour Elizabeth Taylor que j’avais organisée et où Michael était présent parce qu’il voulait toujours être présent pour elle.
MJB. Quel sera le souvenir que vous garderez de Michael ?
CBS. Je me souviendrai toujours de Michael comme d’une personne très gentille, douce, adorable, timide, brillante. Il était probablement l’un des plus grands chanteurs, compositeurs, performers de tous les temps dans l’univers de la pop music. Aucun ne l’a encore égalé et tout le monde le prend pour modèle mais ne peut danser comme lui. Il a mis la barre si haute ! Personne n’a fait plus impressionnant ! Je le verrai toujours comme un génie, mon ami et un être d’une gentillesse et d’une tendresse extrême mais aussi comme quelqu’un d’incompris, qui avait des problèmes notamment en raison de la mauvaise relation qu’il avait avec son père et du traitement qu’il avait reçu quand il était enfant.
Propos recueillis par Christophe Charlot