Les chiens ont tant hurlé…
Comprenez bien une chose, je suis tombé dans la marmite « MJ » le jour où j’ai vu le film Moonwalker… Tout y est : le mythe Michael Jackson sous toutes ses formes… des débuts des J5 à Smooth Criminal, ce « short film » incroyable qui montre à quel point Michael était bel et bien le roi des clips. Et c’est justement sur un clip particulier, intégré dans de ce film, que j’aimerais attirer votre attention : il s’agit de Leave me alone. Produit en 1988 par le trio Jerry Kramer, Jim Blashfield et Paul Diener, cette vidéo surprenante contraste fortement avec le reste des clips de Michael Jackson.
Si le titre de la chanson figure au palmarès des chansons revanchardes de Michael au même titre que Scream, Privacy, Why You Wanna Trip On Me, elle fait véritablement figure d’exception dans la vidéographie de Michael. On est bien sûr dans la thématique MJ contre les journalistes bien que les paroles puissent plutôt faire allusion à une déception amoureuse. Le clip, par contre, fait immédiatement référence à la traque que le King Of Pop subit régulièrement de la part des paparazzis… Le thème est clair dès le début : tordre le cou aux rumeurs, aux mensonges, les dénoncer ou s’en moquer… Si Michael parle peu aux médias pour les démentir, il aime utiliser son arme personnelle pour y répondre : son art !
Le début de la video démarre en force… quelques notes de synthé, la batterie et un cri jacksonien de circonstance et voilà notre héros expulsé de son confortable fauteuil par l’arrivée, sur son paillasson, de journaux titrant sur des ragots multiples. Toutes les rumeurs y passent : Michael aurait rencontré des extraterrestres, Michael porterait des lunettes noires pour cacher un troisième œil, Michael se livrerait à de multiples opérations chirurgicales sur son nez, Michael aurait demandé Liz Taylor en mariage et lui aurait dressé un autel, Michael chercherait à se faire congeler ou à dormir dans un caisson à oxygène, Michael entretiendrait des relations bizarres avec son singe,… du plus ridicule au plus vraisemblable… Dans le clip, ces ragots apparaissent à la Une de quotidiens dont le nom parodie celui de vrais journaux réputés sérieux comme le New York Times. Volontairement exagérées, les rumeurs sont tournées en ridicule et le Roi de la Pop pousse le spectateur à utiliser son esprit critique. Car de toute évidence, tout (et n’importe quoi) est bon pour vendre du papier avec le nom de notre artiste. Tiré de son bien-être, Michael se retrouve dans une fusée multicolore qui l’entraîne dans un univers très étrange, celui de sa propre légende. Vous ne pouvez alors manquer de constater la multiplication des symboles qui mélangent joyeusement réalité et fiction… il faut bien avouer qu’on s’y perd un peu dans tout cela. A première vue, on reconnaît une sorte de parc d’attraction dans lequel Michael navigue à bord de son engin … Disneyland n’est pas sur terre un endroit qu’il déteste, bien au contraire… mais voilà que, dans ce parc d’attractions-ci, on découvre de curieux chiens, des appareils photos géants sortis des flots, un gigantesque dentier qui marque le rythme… De quoi en perdre son latin sauf si on fait quelque peu attention aux détails !
D’abord on retrouve quelques symboles jacksoniens : le dollar où chante Michael (on le retrouvera comme thématique de Money), le paon, emblème des Jacksons, inspiré par leur religion et que l’on aperçoit sur de nombreuses pochettes de Destiny à Triumph… Plus intéressant : les chiens habillés en costard-cravate et chapeau mou qui représentent à évidence ces « chiens » de journalistes qui traquent leur proie jusqu’à l’intérieur du parc… avec appareil photo géant et flash aveuglant… Ces mêmes chiens reporters lisent d’autres journaux qui accablent Michael, démontrant par là qu’ils se nourrissent eux-mêmes des ragots de leurs collègues…
Car si l’on regarde bien jusqu’au bout ce petit chef d’œuvre d’animation (doit-on rappeler que les effets spéciaux de 1988 ne sont pas ceux d’aujourd’hui), on aperçoit enfin une explication à ce monde étrange. Ce parc dans lequel Michael est entré n’est que… Michael lui-même ! Tout s’éclaire alors… ou presque. Le spectateur navigue bel et bien dans l’univers, voire dans l’esprit même de Michael. Tout y est : ses animaux (boa, lama, singe…), ses idoles avec Liz Taylor, les attractions qu’il préfère (mine hantée, pirates, montagne russe…)… Loin de fuir, avec Michael, les médias, les paparazzis, les rumeurs, loin d’être plongés dans un refuge où Michael cherche à échapper à ces poursuivants, nous sommes, en réalité, propulsés dans l’esprit de l’artiste, invités à explorer l’esprit du héros!
La présence d’un véritable hommage à Liz Taylor devient alors non plus une simple rumeur mais une réalité dans l’esprit de Michael. La danse que Michael réalise avec l’Elephant Man ou la traversée d’un véritable cirque Barnum exposant les plus grands phénomènes de foire ne sont pas seulement une dénonciation de ce que disent les médias, mais surtout les émotions que ressent Michael par rapport à ces rumeurs ! Son imagination se balade ainsi sans limites entre réalité, humour et fantaisie ! Le clip de Leave Me Alone contient donc la réponse de Michael à la traque des chiens et permet de comprendre comment il perçoit l’attitude de la presse. A-t-il pris conscience de l’image qui, désormais, lui colle à la peau, l’image de cet être hors norme, voire bizarre que les médias colportent à son sujet ? Cette image est-elle désormais inséparable de son parcours ? Tel un boulet qui l’attache et qui l’empêche de se mouvoir ? On peut le penser quand on voit le boulet qu’il traîne au pied alors qu’il danse avec l’Elephant Man.
Malgré tout, le Roi de la Pop danse et se moque des rumeurs en affichant un sourire et en pratiquant, avec grâce, ses pas légendaires… Rien ne peut l’arrêter : ni un boulet, ni une rumeur, ni les chiens qui le harcèlent… Michael ne manque d’ailleurs pas d’ironie ni d’autodérision, tout comme ce sera le cas quelques années plus tard dans le film Ghosts. Remarquez, par exemple, le bistouri avec un nez, qui vole dès les débuts du voyage… Michael se moque par là de la chirurgie esthétique et surtout des rumeurs à ce sujet. Tout au long du clip, on découvre deux messages qui se croisent : la dénonciation des rumeurs mais aussi son acceptation comme un poids liée au métier d’artiste et au statut de méga-star. Michael semble admettre que, malheureusement, la presse à scandale fait partie du prix de la gloire (Price of Fame, comme il le chante dans un des inédits de Bad 25).
Bien sûr, le positivisme prend le pas sur l’univers nauséabond des médias à scandales et c’est Michael qui gagne le combat : c’est la libération ! Rira bien qui rira le dernier !… Les phrases Leave Me Alone ou Who’s Laughing Baby sont claires… Alors que les ragots et les paparazzis ont tenté de clouer Michael au sol et d’échafauder autour de lui un cirque médiatique hors du commun, celui-ci parvient à s’échapper. A la fin du clip, Michael arrache fils et liens pour faire s’écrouler le parc construit sur lui et malgré lui, tel Gulliver qui s’échappe des Lilliputiens. Mais si le Grand Mike se libère, le petit dans sa fusée s’échappe, lui aussi, avec un grand éclat de rire. Enfin libre ! Toute sa vie, Michael jouera le jeu du chat et de la souris avec les médias pour regagner cette liberté perdue…
Bien sûr, on peut aller encore plus loin car, dans le fond, Michael pourrait aussi, via ce clip, nous rappeler que certaines de ces rumeurs ne sont que des plans marketing décidés en accord avec son staff de communication de l’époque, à savoir Frank Dileo… Michael, qui maîtrisait si bien cet art au départ, s’y est brûlé par la suite… « There was a time I used to say girl I need you »… Si Gulliver est Michael, alors il faut aussi avouer que les médias sont un peu le Frankenstein créé par l’équipe de l’artiste de l’époque! Certes, Michael voulait qu’on parle de lui mais peut-être n’avait-il pas prévu qu’on croirait ce genre de rumeur. Un jeu… voilà bien l’évidence même de ce clip : la vie de Michael était-elle un immense parc d’attraction ? Malheureusement, elle était loin d’être un simple jeu ! L’argent ne suffit pas pour faire le bonheur… et la célébrité et le talent non plus. De Leave Me Alone à You Are Not Alone, il s’agit bien de la vie d’un artiste de plus en plus isolé, solitaire que l’on découvre et qui avait finalement trouvé un unique refuge : ses propres enfants. Ce clip était prophétique de sa vie : Michael s’est aujourd’hui libéré de ce cirque, de ces boulets… A nous de continuer ce combat, d’être comme lui capables de nous relever pour briser toutes les chaînes qui nous oppriment ! « Leave me alone »…
Yann Merlevede